Mathieu Boucher, responsable pédagogique au Conservatoire de musique de Québec.
Dans le premier article de cette série sur la rétroaction, j’ai traité de la rétroaction dans l’apprentissage instrumental et vocal, en mettant l’accent sur les deux grandes sources de rétroaction disponibles pour les musiciens. La première, la rétroaction intrinsèque à la tâche, concerne les informations que les musiciens obtiennent en portant attention aux informations qu’ils perçoivent pendant le jeu : le son de l’instrument, la vue de leurs mains et les perceptions de leurs mouvements. La capacité du musicien à se formuler une rétroaction intrinsèque efficace doit absolument être développée puisque cette source de rétroaction demeure la seule à laquelle il aura accès pendant son travail individuel. La seconde source de rétroaction, la rétroaction complémentaire, concerne les informations reçues par toute autre source externe (enseignant, pairs, famille, public) qui viennent compléter la rétroaction intrinsèque déjà formulée.
Une source de rétroaction qui procure un intéressant mélange de rétroaction intrinsèque et complémentaire est la rétroaction par vidéo, sujet du deuxième article de cette série. On parle ici de mélange puisqu’en s’enregistrant et en réécoutant sa prestation, le musicien profite d’une opportunité unique de comparer sa propre perception de son jeu (rétroaction intrinsèque) et la perception d’une personne extérieure (rétroaction complémentaire). Dans cet article, j’ai abordé les bénéfices de cette source de rétroaction facilement accessible de nos jours grâce aux outils technologiques que nous utilisons au quotidien.
Dans ce troisième article, j’aborderai ce qui est considéré comme une des plus puissantes sources de rétroaction pour stimuler l’apprentissage, mais qui s’avère aussi une des plus délicates à intégrer dans l’enseignement de groupe : la rétroaction par les pairs.
Qu’entend-on par rétroaction par les pairs ?
Puisque cet article s’adresse avant tout aux enseignants qui œuvrent dans le milieu scolaire ou en studio d’enseignement individuel, il sera question ici d’une vision essentiellement formelle de la rétroaction par les pairs. Par ceci, j’inclus toute activité organisée par l’enseignant qui implique que des apprenants partagent des impressions ou des commentaires sur les prestations de leurs collègues. Le classique dans ce cas serait la fameuse classe d’ensemble où chaque personne joue chacun son tour pour ses collègues avant de recevoir des commentaires de leur part.
On doit toutefois reconnaître que la rétroaction par les pairs implique une très large part d’apprentissage informel : les élèves se donnent entre eux des commentaires en dehors des activités officielles organisées par l’enseignant. Mais pour aller encore plus loin dans le côté informel, on peut aussi mentionner les comparaisons que les apprenants observent simplement en évoluant à l’intérieur d’un groupe d’apprenants d’âge et de niveaux scolaires ou d’habiletés différents. Par exemple, dans une école, les élèves de secondaire 2 voient jouer les élèves de secondaire 5 lors d’un concert et constatent ce qu’ils pourraient réussir à jouer dans 3 ans. Dans un concert de classe d’un enseignant de leçons individuelles, les enfants du primaire sont impressionnés d’entendre jouer une élève avancée, ou alors un enfant entend mieux performer que lui un enfant du même âge et avec la même expérience et se pose des questions sur son avancement par la suite. J’inclus volontairement ce dernier exemple à connotation plus négative pour illustrer le fait que ces comparaisons apparaissent tout naturellement lorsque plusieurs apprenants se retrouvent ensemble, et constituent en soi une forme de rétroaction tacite par les pairs. Qu’elle soit formelle, informelle, directe ou tacite, la rétroaction par les pairs implique donc un large éventail de possibilités.
Les bénéfices de la rétroaction par les pairs dans l’apprentissage
Les résultats d’une méta-analyse récente montrent que la rétroaction par les pairs produirait un plus grand effet bénéfique sur l’apprentissage et l’engagement des apprenants que les rétroactions des enseignants. Attention toutefois, dans ce cas-ci, on inclut autant les formes de rétroaction les plus efficaces comme les rétroactions sur le processus et sur l’autorégulation (voir le 1er article de cette série) et les formes moins efficaces comme les punitions et les récompenses. En incluant seulement les formes de rétroaction les plus efficaces dans les analyses, ces dernières reprennent la première position dans les résultats, mais la rétroaction par les pairs demeure bonne deuxième. On a donc tout intérêt à combiner les deux dans l’enseignement. D’ailleurs, une étude réalisée auprès d’étudiants en arts d’interprétation (musique, théâtre, film) a démontré que les étudiants valorisaient autant la rétroaction de leurs pairs que celle de leurs enseignants (Pitt et Carless, 2022).
De façon générale, en participant à des activités de rétroaction par les pairs, les apprenants développeraient leurs habiletés d’autoévaluation en comparant leur rétroaction intrinsèque et leurs observations de leurs pairs (Nicol, 2021), ce qui les aiderait ensuite à améliorer la qualité de leur travail (Wei et Liu, 2024). Ce procédé comparatif est souvent diabolisé puisqu’il peut potentiellement conduire à du découragement ou à un climat négatif de compétition, mais on peut aussi, en tant qu’enseignants, le rendre profitable sur le plan pédagogique.
Les bénéfices de l’apprentissage par les pairs en musique
Il y a encore peu d’études qui ont porté spécifiquement sur la rétroaction par les pairs en musique, mais nous disposons tout de même de plusieurs études qui portaient sur le sujet plus général de l’apprentissage collaboratif, un contexte d’apprentissage qui comprend la rétroaction par les pairs.
On doit d’abord reconnaître qu’il y a une composante fortement informelle à l’apprentissage collaboratif. En effet, les apprenants apprennent de leurs pairs, même de façon inconsciente, dès qu’ils font partie d’un groupe ou d’une communauté d’apprentissage. Dans le cadre plus formel d’une classe en milieu scolaire ou en studio, l’apprentissage collaboratif implique que l’enseignant se place volontairement au second plan pour laisser les apprenants travailler entre eux. Parmi les résultats d’études qui ont examiné l’opinion d’étudiants musiciens qui ont expérimenté ce type d’apprentissage, on note que les apprenants prendraient plaisir à cheminer avec leurs collègues et à les observer cheminer par le fait même (Latukefu, 2009; Lebler, 2015). Les apprenants développeraient aussi un fort sentiment d’appartenance envers leur groupe et une meilleure estime de soi, en plus de forger de nouvelles amitiés (Kokotsaki et Hallam, 2007). Sur le plan de l’apprentissage, les apprenants musiciens deviendraient plus proactifs et motivés (Bjøntegaard, 2015; Latukefu, 2010). En terminant, l’apprentissage collaboratif réduirait l’aspect négatif de la compétition entre apprenants et représenterait un complément enrichissant à l’enseignement instrumental et vocal individuel (Nielsen et al., 2018). De plus, la diminution de la pression associée à l’aspect compétitif de l’apprentissage musical et le sentiment de soutien entre apprenants augmenteraient le sentiment de bien-être chez les étudiants musiciens de niveau universitaire (Perkins et al., 2017). D’ailleurs, Creech et al. (2020, p. 197) ont décrit l’apprentissage par les pairs comme étant « parmi les plus puissantes influences sur l’apprentissage musical, malgré son aspect résolument individualiste ».
Concernant l’aspect plus précis de la rétroaction par les pairs, les apprenants musiciens développeraient leurs propres habiletés d’autoévaluation (Daniel, 2004) en devant comparer les résultats de leurs collègues, leurs propres résultats et les critères de réussite proposés par l’enseignant. En gros, en évaluant le travail des autres, ils deviennent meilleurs pour s’autoévaluer ensuite. Malgré les nombreux bénéfices de l’apprentissage collaboratif, la composante de la rétroaction par les pairs pose de grands défis sur le plan pédagogique à cause des enjeux et des inconforts qu’elle peut susciter chez les apprenants.
Les défis de la rétroaction par les pairs
Bien qu’on dispose de peu d’études sur les défis spécifiques de la rétroaction par les pairs dans l’apprentissage musical, les résultats d’une méta-analyse qui portait sur le même sujet dans le contexte de l’écriture scientifique (Wei et Liu, 2024) indiquent que les apprenants éprouveraient de la difficulté à formuler des commentaires constructifs pour leurs pairs puisqu’ils manquent de confiance dans leur habileté à le faire et qu’ils craindraient les conséquences potentiellement négatives de leurs commentaires sur leurs relations sociales.
Aux enjeux de la rétroaction par les pairs s’ajoutent les enjeux de la rétroaction tout court. Dans plusieurs domaines d’apprentissage, les apprenants auraient de la difficulté à transformer les rétroactions reçues ou leur autoévaluation en application concrète (Carless et al., 2020; Nielsen et al., 2018; Pitt et Carless, 2022). Chez les musiciens, les apprenants se fieraient encore surtout à la rétroaction de leurs enseignants — une rétroaction experte essentielle à l’apprentissage, mais disponible seulement lors des leçons — et ils se fieraient peu à l’autoenregistrement ou à leurs pairs comme source de rétroaction (Daniel, 2001), deux sources de rétroaction pourtant facilement accessibles entre les leçons. Ainsi, malgré tous les bénéfices de ces deux sources de rétroactions mentionnés dans cet article et le précédent, les musiciens en formation les utilisent peu au profit de la rétroaction des enseignants. Dans le cadre de ma recherche postdoctorale, j’ai pu démontrer que les étudiants musiciens de niveau universitaire auraient une conception plutôt passive de la rétroaction. En effet, ils la considéreraient davantage comme quelque chose qu’ils reçoivent et qu’ils veulent formulée avec bienveillance, mais très peu comme quelque chose sur la base de laquelle ils doivent agir (Boucher et Barrett, 2024). Rappelons que cette recherche portait sur des étudiants avancés et on peut logiquement déduire que ce phénomène est peut-être encore plus présent chez les apprenants plus jeunes.
Les défis que pose la rétroaction par les pairs, combinés aux défis déjà présents de la rétroaction tout court, peuvent rendre difficile ou même peu attrayante l’idée de l’inclure dans l’enseignement. Les prochaines sections présenteront des moyens de relever ces défis pour faire profiter aux élèves de ses bénéfices.
Comment intégrer efficacement la rétroaction par les pairs dans l’apprentissage ?
Pour atténuer les défis qu’amène la rétroaction par les pairs, les enseignants devraient élaborer des activités dans lesquelles les apprenants échangent des rétroactions et où ils doivent utiliser la rétroaction reçue (Pitt et Carless, 2022; Winstone et al., 2021). En effet, les habiletés liées à la rétroaction par les pairs se développeraient à force d’entraînement (Van Zundert et al., 2010) et les apprenants auraient besoin de temps et du soutien d’un enseignant pour devenir confiants et confortables dans de telles activités (Pitt et Carless, 2022).
Les recherches sur la rétroaction pointent de plus en plus vers ce qui est appelé l’approche dialogique de la rétroaction pour atténuer l’inconfort et les conflits qu’elle peut susciter. Comme son nom l’indique, cette approche préconise de considérer la rétroaction en tant que dialogue et non pas comme quelque chose qu’un apprenant doit recevoir passivement. Cette approche suggère donc que tout commentaire soit l’amorce d’une conversation entre l’émetteur et le receveur d’une rétroaction afin d’arriver à une compréhension mutuelle de ce qui devrait être réalisé pour améliorer un produit, un apprentissage ou une prestation. Selon les recherches qui ont porté sur l’approche dialogique de la rétroaction, elle aiderait les apprenants à résoudre tout conflit relationnel ou toute incompréhension issue des échanges (Wu et Lei, 2023) et offrirait une sécurité émotionnelle aux apprenants (Lineback et Holbrook, 2024).
Suggestions d’application en musique
Au sujet de l’inclusion du dialogue dans les activités de rétroaction par les pairs, deux anecdotes vécues pendant ma recherche postdoctorale peuvent illustrer les bienfaits de cette approche et exemplifier comment amener le dialogue. La première anecdote concerne une activité élaborée pour ma participation dans un cours donné par une enseignante impliquée dans ma recherche. Pour cette activité, je souhaitais projeter sur un écran en classe différentes formulations de commentaires et amener les étudiants à exprimer leur opinion sur chacun d’eux et échanger. Mes exemples de formulations étaient les suivants :
- Tu devrais […]
- As-tu pensé à faire […] ?
- La même chose m’est arrivée. Ce qui m’avait aidé était de […]
- À ta place, j’aurais […]
- J’ai adoré ce que tu as fait […]
- J’ai beaucoup aimé […], mais je pense que […] nécessite du travail.
- Mon conseil pour toi serait de […]
- Comment en es-tu venu à la décision de […] ?
J’avoue que j’étais complètement biaisé par rapport à certaines formulations : certaines étaient directement inspirées de la recherche sur les meilleures pratiques en la matière. Par exemple, selon moi, le commentaire 8 démontre un intérêt envers la réflexion de l’artiste, ou encore la formulation 3 exprime une solidarité. À l’inverse, les formulations 4 ou 7 traduisent une certaine supériorité de la personne qui émet le commentaire et peuvent rebuter celle qui la reçoit. À ma grande surprise, il n’y a eu aucune unanimité pour chaque formulation, et même plutôt des opinions complètement contradictoires pour chacune d’elles. Certains étudiants trouvaient les questions pédantes alors que d’autres disaient vouloir se faire dire ce qu’on ferait à leur place. Après plusieurs échanges, nous en sommes venus à la conclusion que, si le commentaire répond aux besoins formulés par la personne qui demande et reçoit la rétroaction, cette personne l’accueillera probablement de façon positive. Le mot-clé ici est « demande » et accentue la responsabilité du receveur de la rétroaction de ne pas attendre passivement les commentaires et d’exprimer ses besoins en amont du processus.
Ainsi, la formulation « À ta place, j’aurais » — que je considérais comme plutôt négative — devient tout à fait pertinente si l’apprenant a demandé « Que ferais-tu à ma place ? ». Si je vis quelque chose de difficile et que je demande à une autre personne « As-tu déjà vécu la même chose ? », elle commencera probablement sa réponse par « oui, il m’est arrivé la même chose, et ce qui avait fonctionné pour moi alors était (…) ».
Je vois là un élément rassurant à la fois pour le receveur et l’émetteur de la rétroaction. Par les demandes qu’il formule, le receveur de la rétroaction peut exprimer ses besoins et le « contrôle » de la conversation que cela suppose peut atténuer la crainte d’être blessé. À l’inverse, pour l’émetteur de la rétroaction, l’idée d’écouter attentivement la demande formulée et d’y répondre peut atténuer aussi la crainte de manquer de pertinence dans son commentaire et de blesser l’autre personne. On revient ici à l’approche dialogique de la rétroaction, soit une route à double sens plutôt qu’un chemin à sens unique.
J’ai ensuite pu expérimenter cette approche dialogique dans un contexte de classe d’ensemble en chant classique, ce qui nous amène à la seconde anecdote que je voulais traiter. Également dans le cadre de ma recherche postdoctorale, j’ai été invité à animer un atelier sur la rétroaction pour une classe de chant, suivi d’une courte classe d’ensemble avec deux prestations au cours de laquelle les étudiants appliquaient les notions apprises pendant l’atelier. Pour cette classe d’ensemble, nous avons procédé d’une façon différente de ce qu’on voit habituellement. Plutôt que de seulement chanter et de recevoir ensuite une multitude de commentaires variés, j’ai demandé à chaque interprète, avant de chanter, d’exprimer à ses collègues ce pour quoi il espérait recevoir de l’aide. Une première interprète a mentionné qu’elle éprouvait de la difficulté avec la gestion de l’air dans ses phrases. Elle a chanté, ses collègues l’ont écoutée et elle a reçu plusieurs commentaires par après qui ont porté uniquement sur la gestion de l’air. Le tout s’est ensuite transformé en discussion entre les étudiants et la chanteuse, qui est repartie avec de la matière à réfléchir. Le deuxième interprète a fait la même chose, cette fois en demandant conseil sur son interprétation du personnage. Il a chanté, ses collègues l’ont écouté, il a reçu plusieurs commentaires sur son interprétation avant que le tout se transforme en discussion et il est reparti avec de la matière à réfléchir.
Les commentaires que j’ai reçus ensuite sur cette formule n’ont été que positifs. Je dois souligner quelques éléments qui ont contribué au succès de l’activité : les collègues n’ont parlé que du sujet demandé par l’interprète, les deux interprètes ont posé des questions à leurs collègues en réponse à leurs commentaires et semblaient sincèrement intéressés par ce qui émergeait de la conversation, ce qui a alimenté le dialogue. Et pour le dernier élément à mentionner, je dois lever mon chapeau à l’enseignant qui a assisté à l’activité. Qu’a-t-il dit pendant tout ce temps ? Absolument rien, sauf « J’ai aimé ça ! » quand l’activité a pris fin. Il a laissé les conversations se déployer et il s’est volontairement tu pour laisser ses étudiants discuter et réfléchir.
Bien que les anecdotes racontées proviennent d’activités avec des étudiants avancés, elles illustrent bien les enjeux traités dans cet article. En effet, les apprenants, s’ils reçoivent souvent de la rétroaction à sens unique de la part de leurs enseignants, peuvent ne pas voir la possibilité que la rétroaction par les pairs se déroule sous forme d’un dialogue. Les apprenants qui doivent commenter la prestation d’un collègue ne semblent pas saisir qu’ils peuvent simplement alimenter une conversation et collaborer avec l’autre personne pour imaginer des solutions. Bien souvent, ils croient malheureusement qu’ils doivent fournir LA bonne réponse à tout, comme le ferait un expert.
Ensuite, le fait de devoir répondre à une demande déjà formulée limite le besoin des pairs de devoir trouver l’élément principal à faire ressortir dans l’évaluation du jeu de leurs collègues. Le processus de rétroaction par les pairs devrait donc commencer par une bonne autoévaluation de la personne qui recevra la rétroaction. Cette autoévaluation s’avère d’emblée bénéfique pour l’apprenant qui recevra la rétroaction et elle génère du même coup une amorce de dialogue qui assurera le bon déroulement de l’activité dans un contexte plus sécuritaire pour tous.
En terminant, je formule ici quelques suggestions de stratégies pour intégrer la rétroaction par les pairs qui pourront aider à atténuer les difficultés reconnues inhérentes à ces activités.
- Pour encourager la collaboration entre vos élèves de façon générale, animer des discussions sur d’autres sujets liés à la musique : Comment travaillent-ils à la maison ? Comment se motivent-ils à pratiquer ? Comment gèrent-ils le trac ? Ces questions devraient aussi permettre aux élèves habiles dans d’autres disciplines (par exemple les sports et d’autres formes d’art) de partager leurs expériences acquises dans leur domaine pour enrichir la discussion en musique.
- Animer une discussion en groupe sur les commentaires que les apprenants aiment ou n’aiment pas recevoir. Les 8 exemples de formulation indiqués plus haut peuvent servir de base à cette discussion. Les élèves réaliseront potentiellement la variété de réactions possibles à chaque forme de rétroaction. Les enseignants peuvent ensuite introduire l’idée de dialogue après un certain temps, si cela n’est pas déjà apparu dans la discussion entre les élèves, afin de les amener à réaliser que toute formulation de rétroaction qui répond à un besoin exprimé clairement par la personne sera fort probablement accueillie plus favorablement et plus facile à formuler pour la personne qui la donne. On peut aussi ajouter à la liste de formulations les compliments et les critiques négatives dirigés vers la personne (rétroaction sur l’ego — voir le premier article de cette série) pour que les élèves s’expriment également sur ce sujet.
- Inclure la rétroaction par vidéo dans le processus, d’abord pour les encourager à l’utiliser pour eux-mêmes, puis à utiliser les vidéos pour les activités de rétroaction par les pairs. On peut demander aux élèves d’ajouter une autoévaluation écrite — ou verbale à l’intérieur de la vidéo – et de partager ensuite la vidéo pour recevoir des commentaires écrits de leurs pairs. Le musicien qui enregistre la vidéo aimera probablement pouvoir enregistrer quelques versions et s’autocorriger d’abord seul avant de déposer en ligne la version qui le rend le plus fier. Pour les collègues, le fait de pouvoir écrire les commentaires en ligne permet de prendre le temps de les formuler pour s’assurer qu’ils correspondent bien à leur intention. Du côté du récepteur de la rétroaction, les commentaires écrits permettent aussi un temps de réflexion avant d’y répondre.
- Fournir aux élèves la grille d’évaluation que vous utiliserez plus tard pour les évaluer pour qu’ils puissent baser leur évaluation de leurs collègues sur celle-ci. Les enseignants sont, dans la grande majorité des cas, très transparents sur leur processus d’évaluation et fournissent leur grille d’évaluation aux élèves pour les aider. Je propose ici l’idée d’utiliser cette même grille pour les activités de rétroaction par les pairs afin de guider l’attention des élèves sur des points précis de la prestation de leurs pairs et ainsi les aider à structurer leur rétroaction. Comme mentionné plus haut, plus les élèves utiliseront cette grille pour évaluer leurs pairs, plus ils deviendront habiles à l’utiliser pour s’autoévaluer par la suite.
- Aux deux suggestions précédentes, on peut ajouter celle d’organiser des pré-évaluations avant les évaluations plus officielles. Ceci s’applique particulièrement aux enseignants en milieu scolaire qui demandent des dépôts de vidéos à leurs élèves pour les évaluations instrumentales, mais ceci s’applique tout autant aux enseignants en leçons individuelles avant des concerts, concours ou examens. Les pré-évaluations pourraient consister à déposer sur une plateforme électronique une version-test d’une vidéo quelques jours ou semaines avant une évaluation afin que les élèves s’évaluent entre eux au moyen de la grille que l’enseignant utilisera. Suivant cette activité, l’élève pourra décider s’il souhaite déposer sa vidéo pour l’évaluation sommative ou alors la réenregistrer après avoir appliqué les recommandations de ses collègues et après avoir visionné leurs vidéos qui portaient sur la même tâche.
- Amener les élèves à partager en quoi les commentaires reçus par leurs pairs les ont aidés. Ainsi, la personne qui s’exprime donne un bon exemple aux autres de mise en application des commentaires reçus et valorise par le fait même tout le processus en démontrant à ses collègues comment ils l’ont aidé.
Conclusion
Les résultats de recherche présentés dans cet article démontrent bien les nombreux bénéfices potentiels de la rétroaction par les pairs dans l’apprentissage instrumental et vocal, mais démontrent aussi les défis que pose son intégration dans un groupe d’apprenants. Il apparaît donc essentiel qu’un enseignant guide le processus en installant un climat de confiance dans le groupe impliqué en discutant avec eux de ce qu’est une bonne rétroaction tout en valorisant le fait de considérer la rétroaction comme un dialogue. Les rétroactions par les pairs ont le pouvoir d’amener les apprenants à valoriser et à chercher d’autres formes de rétroaction différentes de celle de l’enseignant et davantage disponibles entre les leçons, en valorisant également la proactivité des élèves suivant le processus de rétroaction.
Comme mentionné dans l’article, toute communauté d’apprenants implique des comparaisons entre apprenants qui peuvent s’avérer négatives. Toutefois, en valorisant le dialogue et la collaboration, les enseignants ont le pouvoir de transformer ces comparaisons en source d’inspiration.
RÉFÉRENCES
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